03oct.
Salaires des cadres: les entreprises face aux défis du Covid
Le monde d’après s’impose aussi aux entreprises, qui réalisent l’importance de valoriser et de fidéliser leurs salariés. Les DRH parient sur l’avenir en activant tous les leviers, quantitatifs – malgré la crise – et qualitatifs.
Au moment où les entreprises s'apprêtent à définir leurs budgets d'augmentation de salaires, la prudence est plus que jamais de mise. "Il est prématuré d'en parler", confie Bruno Dumas, DRH France de Capgemini. Comme nombre de ses pairs, depuis le confinement, il s'adapte au fil de l'eau. "Nous avons mis en place un suivi trimestriel de l'acquisition de compétences de nos collaborateurs, indique-t-il, pour qu'ils se situent plus facilement et pour comprendre comment les aider à progresser." Selon les études, le pire semble toutefois exclu: les augmentations pour l'année prochaine devraient être comprises entre 1,7% pour Deloitte et LHH, 2% pour Mercer, et 2,4% pour Willis Towers Watson – soit une baisse de 0,2% à 0,4% par rapport aux prévisions des années précédentes.
Une résilience qui profite d'un effet de calendrier: "Une grande partie des augmentations ayant été décidées en début d'année, ces engagements ont été respectés, rappelle Khaled Aboulaïch, directeur général d'Expectra. Les employeurs ont préféré limiter les recrutements, en baisse de 20% au premier semestre, pour s'adapter à la diminution de leur chiffre d'affaires." Effet d'un moral solide aussi. "Les entreprises parient sur le retour de la croissance, explique Bruno Rocquemont, directeur de l'activité gestion des talents du cabinet de conseil en RH Mercer. Elles ont retenu la leçon de la crise de 2008, où en baissant drastiquement les budgets, elles n'avaient pas pu récompenser les efforts de leurs collaborateurs."
Variable à ajuster
Entre confinement et reprise en pointillé, qui rendent quasiment inaccessible l'atteinte d'objectifs fixés avant le début de la pandémie, la part variable de la rémunération est la plus exposée aux restrictions. "Les primes qui représentent entre un et trois mois de salaire ne devraient bénéficier cette année qu'à 67% des cadres, contre 79% l'année dernière, observe Franck Cheron, associé capital humain du cabinet Deloitte. Avec globalement une diminution de 6,2% des montants versés. Et l'incidence sera plus forte pour les commerciaux et les cadres dirigeants." Pas besoin de lire dans le marc de café pour prévoir que la situation sera encore difficile en 2021. Tout comme pour l'épargne salariale et les primes d'intéressement et de participation, largement corrélées aux résultats économiques de l'entreprise.
>> A lire Apec. Equité à réinventer Dans ce contexte agité, les DRH ne peuvent se contenter de rester à l'écume des choses. "Ils sont face à un véritable défi, pointe Frédéric Guzy, directeur général d'Entreprise & Personnel. Répondre à cet enjeu d'équité tout en continuant à reconnaître les performances des collaborateurs avec des marges financières réduites." Il suggère à ses membres de profiter de cette période pour remettre à plat leur politique de rémunération. C'est aussi ce que prône l'économiste Patrick Artus, auteur de l'essai 40 ans d'austérité salariale. Comment en sortir. De son côté, Alain Gueguen, vice-président RH en charge de la politique "reconnaissance et rétribution" d'Orange pendant de nombreuses années, qui vient de quitter l'entreprise et assure la présidence de l'Observatoire des rémunérations et avantages sociaux (Oras), encourage aussi ses pairs à faire preuve d'imagination, et notamment sur la partie variable: "Il va falloir revoir les objectifs pour les ajuster aux nouvelles prévisions de croissance. Si par exemple les prévisions tablent sur une baisse de 20 % des résultats, les salariés qui auront réussi à faire mieux devront recevoir une prime équivalente à celle décidée avant la crise." Qualités à valoriser Tout en adoptant ce conseil, Meritis, cabinet de conseil en technologie, en a modifié la philosophie. "Nos équipes internes en charge du recrutement seront davantage challengées sur la qualité des candidats, illustre Marie Jacquot-Vivier, sa DRH.
Dans ce contexte tendu, nous serons encore plus sélectifs quant à leur école ou université d'origine, leur expertise technique et leur savoir-être." D'autres investissent sur la reprise. "Nos clients ont à cœur de récompenser ceux qui se mettent en position de générer demain plus de business, complète David Destoc, directeur général du cabinet RH Oasys Mobilisation. Par exemple en ayant noué de nouveaux contacts, mis à jour leur base de données ou mis leurs dossiers en ordre." Emmanuelle Capiez, la DRH du bureau d'ingénierie Assystem, a fait évoluer dans le même sens son mode d'évaluation des managers: "Aux critères liés à la progression du chiffre d'affaires, qui compte pour 70% de leur variable, ont été ajoutés des critères qualitatifs comme l'agilité, l'endurance, l'enthousiasme ou la capacité à insuffler de nouvelles idées." Et rien de tel que la formation pour consolider le moral des troupes. "Cela permet de préparer la reprise et de maintenir l'engagement des salariés", remarque Pierre Lamblin, directeur des études de l'Apec. Capgemini a ainsi donné à ses collaborateurs un accès libre à tous les programmes de sa nouvelle plateforme, dont certains ont été conçus avec de grandes universités américaines.
L'organisation pyramidale structurée en grades, avec un nombre de compétences associées à acquérir pour passer au grade supérieur, les encourage à se former. "Les entreprises l'ont compris et lancent pour leurs cadres des programmes d'acquisition de nouvelles compétences pour le futur, observe Bruno Rocquemont, de Mercer. C'est un moyen de maintenir son employabilité, mais aussi d'obtenir une rémunération différée." Participation à renforcer La révision des accords de participation et d'intéressement projette aussi les salariés dans de futurs revenus. "Si les premiers restent très liés aux performances financières de l'entreprise, explique Frédéric Bonneton, il est possible dans les seconds d'introduire des critères liés à l'amélioration de la productivité, à la satisfaction client ou aux accidents du travail…" A l'image de celui signé par l'ensemble des partenaires sociaux de SEB au printemps dernier, qui prend désormais en compte le lancement de nouveaux produits ou le nombre de dépôt de brevets.
Comme nombre de ses confrères, Dan Abergel, DRH France de l'entreprise, a aussi décidé de mettre l'accent sur le bien-être de ses collaborateurs: flexibilité des emplois du temps, meilleur équilibre de vie, mise à disposition d'un médecin du travail, d'une psychologue et d'un ergonome sur le lieu de travail, tous particulièrement sollicités par les salariés au plus fort de la crise sanitaire. "La période actuelle incite les employeurs à revoir le pacte social proposé aux salariés, lance Alain Gueguen, d'Oras. Plus que jamais, elle les oblige à repenser leur raison d'être. Une occasion d'aller au-delà des mots et des effets d'annonce."
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